Quand l’école n’était ni gratuite ni obligatoire .

Les petits Chartroussins seront plus assidus durant l’hiver . Les travaux agricoles et forestiers auxquels ils sont astreints ne leur permettent pas d’aller à l’école durant la belle saison . Une liste d’indigents est dressée par le maire afin d’assurer la gratuité de l’école aux plus pauvres de la commune .

Liste fournie en 1839 au préfet .

Les Débuts Difficiles de L’Ecole

Petit Rappel historique

C’est sous la Monarchie de Juillet avec la Charte de 1830 qu’est proclamée la liberté de l’enseignement . Et c’est la loi du 28 juin 1833 , loi Guizot , qui instaure la liberté de l’enseignement primaire  .

Sous l’ancien régime , l’Eglise est responsable de l’enseignement primaire . La Révolution fait table rase du passé , la Constitution de 1791 veut instaurer « une instruction commune à tous les citoyens » mais faute de moyens c’est un échec . Sous le Directoire, on met en concurrence les écoles publiques et privées , c’est le début de la  » guerre scolaire  » qu’on connaitra jusqu’au 20 ème siècle . Cf Gilles Lebreton « Libertés Publiques et Droits de L’Homme « 1995 éd. Armand Collin .

Les écoles communales sont réservées aux petits garçons . Il faut attendre la loi du 10 avril 1867 , loi Duruy , pour rendre obligatoire l’existence d’une école de filles dans toute les communes . Saint Pierre devancera la loi !

Si en 1846 , on recense encore des communes de l’Isère sans école , ce n’est pas le cas de Saint Pierre de Chartreuse . Dès 1833 , Saint Pierre a son école .

En 1833 , l’existence de la commune de Saint Pierre de Chartreuse est récente . C’est en 1818 que Chartrousse , Saint Pierre et Entremont n’ont formé plus qu’une seule Commune . Les distances et la nouveauté de ce regroupement rendent les prises de décisions  communes difficiles .( Deux siècles après nous sommes toujours incapables de garder un maire tout un mandat sans le pousser à la démission !!)

Le maire s’en plaint au préfet , il voudrait une école dans le bourg , au centre du village , mais les habitant en veulent 3 . Saint Hugues , Les Cottaves et le bourg !

Mais surtout les conseillers municipaux ne veulent pas entendre parler d’école !!

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« notre conseil est composé de gens riches sans enfant, ou avec enfant incapable de venir à l’école, en conséquence ils ne veulent pas entretenir un instituteur » … Lettre du Maire Cottave au Préfet .1834.

M. Cottave se bat pour cette école , demande des livres , des cartes au département de l’Isère . La 1ère école se situe prêt de l’ancienne église , le propriétaite M. Bouron loue à l’instituteur un logement et une salle de classe . Le Maire demande l’indemnité de logement pour l’instituteur ,  Lanfray Joseph .  Visiblement il ne remplit pas les demandes d’indemnité logement correctement , la Préfecture doit l’aider . Trois ans que l’instituteur avance l’argent !!

M. Cottave demande dès 1836 le secours (nom des subventions à l’époque) du département pour construire une école . Tout au long du 19 ème siècle , la mairie rappelle son manque de moyens financiers .

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Une des fenêtre de l’école donne sur la maison de M. Cottave , l’autre sur l’église , c’est donc un des bâtiments à droite sur le plan .

En 1840 , Zoé Arvillier désire ouvrir une école communale de filles à Saint Pierre de Chartreuse .

Elle est la fille du Capitaine des Douanes . Elle remplit toutes les conditions pour enseigner mais le Curé Chappuy envoie une lettre courroucée au Préfet car on ne lui a pas fait signer le certificat de moralité alors même que le père de Zoé affirme que le curé a refusé de le faire . Elle obtiendra l’autorisation malgré tout .DSCF6452

Courrier du Curé Chappuy en 1840 au Préfet .

Les premières enseignantes doivent passer un brevet d’enseignement . Elles seront formées pour beaucoup à La Providence à Corenc . Ces jeunes filles de bonne famille seront enseignantes et religieuses . A partir de 1843 , (la formation des instituteurs a lui commencé en 1830 ) les enseignantes laïques suivront l’enseignement du Cours Normal à Grenoble puis à Saint Égrève . La future École Normale . Ces cours sont tout d’abord payants , interdisant aux plus pauvres leurs accès . Un certificat de moralité doit être fourni et un concours d’entrée sélectionne ces jeunes personnes . Le niveau est très faible , leurs aînées n’ayant pas eu accès à l’école !

En 1866, une fille de Saint Pierre de Chartreuse , Françoise Mollard , enfant naturelle de 27 ans est recommandée par les Pères Chartreux . Une chance de plus pour elle d’être admise .

A partir de 1881 , l’accès à l’Ecole Normale est gratuit . Tous ceux admis au concours peuvent y entrer , la somme demandée aux familles étant un vrai frein auparavant , certaines devant arrêter en cours de route faute d’argent .

En 1883, la laïcité promue permet aux filles de protestants du Triève et de la Matheysine de s’inscrire .

« Histoire de l’École Normale d’institutrice de Grenoble  » de Julien Clavel

Et 7 écoles !!! De 1891 à 1903 .

1889

Ce n’est pas dû à une explosion de la natalité mais aux lois de mars 1882 sur la laïcité et du 30 octobre 1886 qui réorganise l’enseignement primaire . Dans les écoles communales , lorsque les religieux quittent leur poste ils doivent être remplacés par un instituteur laïc.

A SAINT HUGUES .

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Les 2 écoles communales de Saint Hugues .

L’école des Garçons est au 1er plan , là où se trouve aujourd’hui l’école actuelle .

L’école publique  de garçons vers 1910 .

Marius Garrel , notre vieux voisin , aimait à nous raconter cette histoire .

Le maître ayant un petit penchant pour la bouteille ; ses gentils élèves le fournissaient en vin . Son repas bien arrosé , le brave instituteur attaquait une petite sieste … Sur la pointe des pieds les enfants s’échappaient et partaient jouer « aux gendarmes et aux voleurs »,  ce qui les conduisaient parfois jusqu’à la Diat ! Mais avant le réveil du maître ils étaient de retour , sagement assis à leur bureau , ni vu ni connu ! -Anecdote de la directrice de l’école de Saint Hugues , Mme Roux (Institutrice de 1969 à 2004 .)

L’école des filles se situe après l’église .

Aujourd’hui c’est le bar « La Cabine » , autrefois la cabine téléphonique de Saint Hugues . L’école de Saint Hugues n’a eu sa propre ligne que fin 197O. Avant ça j’ai le souvenir de la « mère Guste » qui écoutait avec passion les correspondances téléphoniques de ses clients .

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L’école des Frères de La Sainte Famille .

La loi du 30 octobre 1886 , loi Goblet , impose la laïcisation du personnel dans le primaire et l’ Art 37 : « Tout instituteur qui veut ouvrir une école privée doit préalablement déclarer son intention au maire de la commune où il veut s’établir et lui désigner le local. »

En 1891 , M. Arraud , frère de la Sainte Famille , demande l’autorisation d’ouvrir une école privée à Saint Hugues . Pour cela il fournit les plans du bâtiment et tous les justificatifs exigés par la loi de 1886 Art 37 .

Plan de la maison et demande d’autorisation .

Les frères de La Sainte Famille , congrégation de Belley dans l’Ain , sont enseignants . Ils seront présents à Saint Pierre de Chartreuse , Saint Laurent du Pont , Villette , Saint Pierre d’Entremont , Entre-deux-guiers , Saint Etienne de Crossey , Saint Joseph de Rivière , Saint Christophe et Virieu . Leurs archives sont à Belley et leur siège à Rome .

Cette école sera vendue en 1905 lors de la liquidation des Biens des Chartreux . Pour 10000 francs .

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La famille qui l’a achetée a été excommuniée comme toutes les personnes qui ont acheté les biens de la Liquidation .

AUX COTTAVES .

L’école des Cottaves connaitra des périodes de fermeture , les habitants des Guillets réclament qu’elle se situe dans leur hameau . Une bataille fait rage entre les 2 hameaux .

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École des Cottaves 1892

En 1892 , date de cette photographie , filles et garçons sont mélangés , ce qui n’est pas le cas à Saint Hugues et Saint Pierre .

AU BOURG de SAINT PIERRE DE CHARTREUSE

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École de Montbruno .

A Montbruno se trouve une école privée tenue par les Soeurs de Notre Dame du Rosaire .

Cette école  sera vendue en 1905 lors de la liquidation des Biens des Chartreux .

Le Conseil Municipal au complet le 10 Août 1902 refuse sa fermeture ; les conseillers municipaux désirent que les 60 jeunes filles puissent continuer à recevoir l’éducation des bonnes soeurs . Les religieuses du Rosaire  s’occupent également des malades et des pauvres de la commune . Cette délibération du Conseil Municipal sera annulée par le préfet car contraire à la loi .

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Compte-rendu de la Délibération du Conseil Municipal en 1902 au Préfet .

L’ÉCOLE COMMUNALE  DE GARÇONS DU BOURG .

Il faut remonter à 1857/1858 pour comprendre ce qu’est cette école et les revendications du Conseil Municipal dans les années 1890 .

Un grand incendie va ravager le Bourg de Saint Pierre de Chartreuse en 1845. Tout est à reconstruire , les habitations mais aussi l’école .

En 1857 , les Chartreux proposent à la Mairie de prendre en charge l’école communale , de la reconstruire , de déplacer l’église , le cimetière et le presbytère au plan de la ville alors qu’ils se trouvaient sur l’actuelle place de la mairie .

Mais en échange , ils deviennent propriétaire de la maison d’école qu’ils prêtent à  la mairie et la mairie accepte que l’enseignement soit celui de frères , les frères de la Sainte Famille .

Une pétition circule en faveur d’une école laïque , le maire refuse alors  la proposition des Chartreux puis se ravise , cela permettant de faire de sacrées économies .

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Place de la mairie . L’école communale  dans ce beau bâtiment .

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Historique de l’échange de biens avec les Chartreux : lettre du maire au préfet .1889.

Donc à partir de 1857/1858 , l’école communale du Bourg appartient aux Chartreux et l’enseignement est dispensé par des frères .

Mais avec la loi Goblet de 1886 , Le bourg va devoir se mettre en conformité avec la loi .

CRÉATION D’UNE ÉCOLE PRIVÉE .

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Demande d’autorisation d’ouverture d’une école privée de M. Chichignoud 1891.

Tout d’abord le Frère Emile ( M. Chichignoud enterré au cimetière de Saint Pierre) demande l’autorisation d’ouvrir une école privée en 1891 comme le fait M. Arraud ( également frère de la Sainte Famille) à Saint Hugues .

En 1870 , Melle Sourd avant demander d’ouvrir une école libre pour les filles .

Et en 1896 , la mairie qui doit remplacer un enseignant religieux demande un sursis pour laïciser l’École au préfet .

Les Chartreux ne prennent en charge l’école communale qu’à la condition que l’enseignement soit assuré par les frères , la mairie demande donc de remplacer l’enseignant par un autre frère et ajoute qu’elle ne peut faire autrement car elle n’a aucun lieu à mettre à la disposition de l’école : de nombreux touristes rendent les locations très chères et certains doivent s’exiler « en banlieue » !

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Historique de l’échange de biens avec les chartreux pour demander un sursis au préfet .1889.

La mairie obtiendra un sursis  et demandera à la préfecture une aide pour construire une école .

Le député Rey apprenant qu’à Saint Pierre de Chartreuse on ne trouve pas de lieu pour une école laÏque se moquera de ces Chartroussins qui en majorité ont refusé de voter pour lui .

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En 1903 , les frères de la Sainte Famille , recevront une notification du refus de l’administration de les autoriser à enseigner . Frère Marc (André Epinat) , également secrétaire de Mairie , frère Émile (M. Chichignoud) et frère Anicet devront fermer leur école .

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Lettre de 1903 relatant l’absence des frères à Saint Pierre .

La loi de 1901 sur les Associations:Toute congrégation devra solliciter une autorisation législative dans les 3 mois . Toute personne ayant appartenu à une congrégation non autorisée se voit interdire de faire partie d’une maison d’enseignement . 

De mars à juin 1903 , le ministre Combes repousse en bloc la plupart des demandes d’autorisation proposées par les Congrégations . Ici , on voit que les Soeurs du Rosaire et les Frères de la Sainte famille se verront refuser cette autorisation d’enseigner .

C’est cette même loi du 9 juillet qui conduira à l’Expulsion des Chartreux en 1903 et à la liquidation de leurs biens en 1905 . Ils ne seront autorisés à revenir à La Grande-Chartreuse qu’en 1940 .